l'archéologie et la grande guerre
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l'archéologie et la grande guerre
Par Yves DESFOSSES (conservateur régional de l’archéologie de Champagne-Ardenne, Ministère de la Culture), Alain JACQUES (service archéologique de la ville d’Arras) et Gilles PRILAUX (INRAP Nord-Picardie).
Un sous-sol profondément marqué par les vestiges de la Grande Guerre
A la fin de l’année 1914, quand la guerre de mouvement fait place à la guerre de tranchées, le front se stabilise en région Nord-Pas-de-Calais suivant un axe nord-sud allant d’Armentières à Bapaume et sur une ligne ouest-est en Champagne-Ardenne. A l’issue de 4 ans d’une guerre de positions, où seules quelques offensives auront entraîné de légères modifications de son tracé, la ligne de front se présente sous la forme d’une formidable succession de réseaux de tranchées, souvent aménagés avec soin. Le terrain ainsi occupé est bouleversé sur plusieurs kilomètres de largeur par ces aménagements et les tirs d’artillerie. Dans certaines zones, dites « rouges », les bouleversements sont tels qu’une remise en état des terrains n’est pas envisageable. Mais, près de 90 ans après l’Armistice, ces cicatrices ont presque toutes disparu et ne sont souvent plus visibles que dans de rares endroits, souvent transformés en mémorial, ou sur des photographies aériennes.
Ces vestiges omniprésents présentent ils un intérêt pour l’archéologue ?
Si les traces de la Première Guerre mondiale sont de moins en moins perceptibles à la surface des champs, en revanche les archéologues, qui sondent chaque année plusieurs centaines d’hectares de terres agricoles, dégagent dans les zones de front de très nombreux vestiges liés à cet épisode récent de notre histoire. L’archéologie préventive a souvent mal vécu cette confrontation avec de telles structures, qui ont souvent perturbé les occupations plus anciennes qu’elle cherchait à mettre en évidence. Mais leur omniprésence dans certains secteurs a poussé quelques archéologues à mener une réflexion sur l’intérêt de leur étude. Au terme d’expériences successives menées depuis une quinzaine d’années, notamment par le Service Archéologique de la Ville d’Arras, il est désormais évident que certains de ces vestiges présentent un indéniable intérêt, aussi bien archéologique que patrimonial et méritent d’être pris en compte lors des investigations sur le terrain.
Les fouilles d’Actiparc, une opération d’archéologie préventive en première ligne
D’octobre 1914 à avril 1917, la ligne intermédiaire et la ligne arrière du front tenu devant Arras par l’armée allemande traversaient du nord au sud l’emprise de la future ZAC Actiparc. Conscients d’intervenir dans un contexte fortement marqué par des vestiges liés à la Grande Guerre, les archéologues de la ville d’Arras et de l’INRAP avaient décidé de prendre en compte les témoignages de ce conflit au même titre que tout autre vestige archéologique, mais de manière plus sélective. Cette expérience unique a permis le relevé et l’enregistrement de près de 6000 structures liées à ce conflit. En revanche, peu de ces structures ont été abordées plus en détail, dans la mesure où la fouille d’une tranchée ne présente que peu d’intérêt au regard de l’abondante documentation existante et reste un exercice dangereux du fait de la présence de munitions encore actives. Seuls les vestiges livrant des informations inédites sur la vie quotidienne des combattants ont fait l’objet d’une exploitation plus poussée. Ces faits d’histoires ordinaires sont très variés et touchent souvent le quotidien des combattants. Ils peuvent concerner le logement des troupes et leurs aménagements. Mais ils nous renseignent également sur les conditions de vie parfois très précaires dans les tranchées et autre retranchements. Par ailleurs, 31 corps de soldats britanniques ont été découverts lors de l’intervention des archéologues et ont fait l’objet d’une fouille minutieuse.
Les sépultures de combattants
La découverte de corps de combattants est très fréquente sur les chantiers réalisés en zone de front, plus de 600 000 hommes ayant purement et simplement disparu sur le front ouest. Alors que la fouille d’une tombe d’époque gauloise ou romaine ne suscite qu’un réflexe purement professionnel de la part de l’archéologue, traiter de manière identique une tombe de soldat est chose bien difficile dans la mesure ou cette découverte entre dans le champ de notre mémoire collective, mais aussi individuelle. Ces corps, souvent bouleversés et portant généralement les stigmates d’une mort violente, sont donc l’objet de soins particuliers ; ne serait ce que par devoir de mémoire à l’égard de ces hommes. De plus, l’étude attentive et répétée de ce type de sépultures livre des informations particulièrement intéressantes sur les pratiques funéraires d’urgence sur le champ de bataille, qui n’ont été étonnamment que peu décrites dans les récits des combattants de l’époque. Le registre des découvertes va du soldat purement et simplement englouti avec tout son paquetage dans le no- man’s land, exemple même du combattant disparu, à la tombe collective plus ou moins organisée, en passant par la sépulture individuelle soigneusement creusée ou plus souvent aménagée rapidement au fond d’un trou d’obus.
Les Grimsby Chums
Mais la découverte la plus étonnante reste celle de la sépulture collective découverte sur la ZAC Actiparc. Elle se présente sous la forme d’une longue fosse peu profonde et accueillait les dépouilles de 20 soldats britanniques. Les 19 premiers corps y avaient été soigneusement déposés, mains jointes sur l’abdomen et de manière à ce que le bras droit de chaque homme repose sur le bras gauche de son voisin immédiat, comme si l’on avait voulu qu’ils restent unis dans la mort et comme ils l’étaient certainement dans leur unité. A l’inverse, le 20 ème corps, légèrement séparé des autres, avait les bras disposés le long du corps. Si aucun de ces soldats n’a pu être précisément identifié, la présence de badges sur certains corps a permis de démontrer qu’ils appartenaient au 10 ème bataillon du Lincolshire Regiment, engagé sur le secteur lors de l’offensive britannique du 9 avril 1917. A l’évidence, leurs camarades de combat ont voulu offrir à leurs morts une sépulture digne de l’amitié qui les liait. Cet effort est d’autant plus étonnant que cette tombe a été aménagée en première ligne de front, lors d’une offensive majeure, et que son aménagement ne s’est donc pas fait sans risques. Cette sépulture constitue donc un témoignage particulièrement poignant du profond sentiment de camaraderie qui unissait les hommes de cette unité, dont le surnom « Grimsby chums » (les potes de la ville de Grimsby) prend ici toute sa valeur.
Une fosse commune…vide
Du 08 au 09 septembre 1914, entre Mailly-le-Camp et Vitry-le-François, d’intenses combats opposent la III ème Armée allemande à la IV ème Armée française. Les affrontements de l’année 1914 sont les plus meurtriers de la Grande Guerre et les corps laissés sur le champ de bataille sont généralement regroupés par nationalité dans des fosses communes. Celle redécouverte à Huiron est presque la copie conforme, par ses dimensions, de la tombe des Grimsby Chums d’Arras ; mais elle ne contenait plus que quelques fragments d’os humains. La vingtaine de corps qu’elle devait contenir à l’origine ont été exhumés à l’issue de la guerre pour être ré-inhumés dans une nécropole de regroupement. Une étude attentive du matériel recueilli permet cependant de préciser l’origine des combattants, toutes les boucles de ceinturon retrouvées portant la devise du Royaume de Saxe (Providentiae Memor) et 3 d’entre elles présentant sur leur bord inférieur l’inscription « 12.J. », n° de l’unité d’affectation de son propriétaire. Ici, il s’agit de soldats appartenant au 12 ème bataillon de chasseurs (jäger), stationné à Leipzig et engagé dans l’assaut de la ferme de la Certine, point extrême de l’avance des troupes allemandes dans ce secteur. Mais la fouille de cette fosse d’apparence anodine apporte surtout des informations inédites sur le traitement réservé aux très nombreux corps restés sur le terrain, les morts étant étonnement déposés dans la tombe sans même être délestés de leur paquetage (mais l’urgence sanitaire devait être telle en cette fin d’été 1914…).
A la recherche du sergent York
Châtel-Chéhéry, en Forêt d’Argonne ; le 8 octobre 1918, le caporal Alvin York capture plusieurs dizaines de soldats allemands et nombre de mitrailleuses. Cet exploit fait de lui le principal héros américain de la Grande Guerre, magnifié dès la fin des combats puis montré en exemple au début de la Seconde Guerre mondiale, par le biais du film « Sergeant York », où le rôle titre est tenu par Gary Cooper. En 2006, des spécialistes en systèmes d’information géographique de la Middle Tennessee State University, état dont est originaire York, tentent de retrouver la localisation exacte de son fait d’armes dans ces bois, qui heureusement n’ont connu qu’une seule journée de combats et peuvent donc encore receler des traces de son passage. Des indices probants, notamment un disque de col au n° de régiment et de compagnie de York, permettent de mieux localiser sur le terrain, à l’aide de GPS de grande précision, l’itinéraire du héros. Mais la polémique gronde aux Etats-Unis, où une seconde équipe déclare avoir trouvé d’autres indices sûrs, mais quelques centaines de mètres plus loin. Si cette première opération d’archéologie programmée sur des vestiges de la Grande Guerre entre surtout dans le domaine de l’expérimentation, elle montre aussi les limites d’une comparaison entre indices de terrains et archives, d’autant plus si ces dernières ont à l’évidence « embelli » la réalité.
Les témoins de la vie quotidienne dans les tranchées
De nombreux villages d’Artois situés à proximité du front ont été transformés en camps capables d’accueillir des milliers de soldats et des cantonnements, des hôpitaux ont été construits à la hâte. Cette présence massive a nécessité le renforcement ou la réalisation de réseaux d’électricité, d’adduction d’eau pour répondre à ces nouveaux besoins. L’approvisionnement des champs de bataille en hommes, en matériel, en vivres et en munitions a également nécessité la mise en place de réseaux de routes et de chemins de fer. Une bouteille en verre frappée aux armes de la 9 ème division écossaise rappelle ainsi que pour les seules troupes britanniques, environ 5 360 000 hommes sont passé sur le front de l’Ouest et que le Royaume Uni a fait transiter par les grands ports français plus de 3 240 000 tonnes de marchandises. Les recherches menées sur les lieux où ont séjourné les soldats révèlent toujours une quantité importante de matériel, qui vient compléter utilement les documents d’archives sur quelques aspects de la vie quotidienne des différents belligérants. Les catégories d’objets les plus fréquemment rencontrés, à l’exception du matériel militaire, sont liées à la nourriture, à l’écriture et à l’hygiène corporelle. Ce sont les traces émouvantes de ces milliers d’hommes qui ont été jetés du jour au lendemain dans la tourmente, emmenant avec eux quelques objets les reliant par un fil ténu à la société civile qu’ils venaient d’abandonner.
L’artisanat de tranchée
Confrontés à de longues périodes d’attente et de calme relatif dans les tranchées ou en seconde ligne, les soldats de toutes nationalités ont souvent combattu la monotonie et la précarité de leur existence en fabricant avec les matériaux du bord (douilles d’obus en laiton, fusées en aluminium) de petits objets utiles dans leur vie quotidienne, ou bien à usage de souvenir. A plusieurs reprises, des fouilles ont permis de retrouver les traces fugaces de cet artisanat de tranchées ; mais sur la ZAC Actiparc, c’est le dépotoir complet d’un atelier qui a été découvert. La fouille minutieuse d’une section de tranchée a livré des dizaines de rebuts de tôle de laiton, dont l’étude a permis de retracer la chaîne opératoire complète de production d’étuis de protection de boîtes d’allumettes, mais aussi de coupe-papiers et de boucles de ceinturons. Les inscriptions gravées sur certaines de ces pièces ont aussi permis d’identifier leurs créateurs, des prisonniers allemands affectés à la réfection de la ligne de chemin de fer Arras-Lens en 1919. Alors même que l’origine précise de la plupart des objets relevant de l’artisanat de tranchée est désormais perdue, la découverte faite à Actiparc permet de restituer dans le détail l’histoire d’un de ces ateliers éphémères et de rendre à ces objets toute leur valeur historique et sociale.
Croyances et religion dans les tranchées
Vivre dans les tranchées où la mort est omniprésente, tenir alors que l’on est constamment confronté à l’incertitude du lendemain génère chez le combat une angoisse permanente et pousse nombre d’entre eux à trouver refuge dans la foi. Ce regain de religiosité s’exprime, en dehors de la fréquentation des services religieux traditionnels, par l’apparition de signes protecteurs, comme les croix gravées, dans les abris. On retrouve également des statuettes de la Vierge ou de saints guerriers tels que Saint George terrassant le dragon, qui était honoré dans de petits oratoires creusés dans les parois des tranchées. Mais parallèlement à ces manifestations, on note que différents belligérants font appel à des croyances ancestrales proches de la superstition et il est fréquent de retrouver accrochés à une médaille pieuses ou à un chapelet, une croix solaire, un fer à cheval ou des monnaies percées. Des dépôts singuliers sont à signaler dans les carrières d’Arras, comme cette fosse contenant un coquillage des mers australes, ou ces pièces de monnaie déposées dans les interstices des parois.
La préservation d’un patrimoine en voie de disparition
Bien souvent, les seules traces de la première Guerre Mondiale encore vraiment perceptibles dans le paysage sont les nombreuses nécropoles militaires et quelques monuments commémoratifs. Un œil averti remarquera cependant la présence sur certains bâtiments anciens de quelques inscriptions énigmatiques, qui s’avéreront être la mention du passage à cet endroit d’une unité ou de quelques soldats. Dans des secteurs moins directement accessibles subsistent encore quelques blockhaus, vestiges d’une ancienne ligne de défense. Mais ces vestiges devenus gênants sont souvent l’objet d’une destruction pure et simple. C’est d’autant plus le cas s’ils sont par nature bien moins résistants qu’une construction de béton armé, comme les rares monuments funéraires allemands encore existants ou les quelques baraquements de bois installés par l’armée britannique et encore récemment utilisés en abri de jardin. Sous l’assaut du temps et des hommes, la sauvegarde de ces vestiges devient de plus en plus aléatoire. Cette situation est d’autant plus dommageable et étonnante que l’intérêt porté à la Grande Guerre s’est considérablement renforcé ces dernières années. A défaut de réellement pouvoir sauver ces éléments de notre patrimoine, leur étude et leur enregistrement permettent cependant de garder une trace de leur existence.
Les souterrains
C’est à l’occasion d’un programme de recherches sur les carrières d’extraction de pierres exploitées pendant le Moyen-Age à Arras que l’attention des archéologues a été attirée par les nombreux témoignages laissés par le passage de soldats britanniques entre 1916 et 1918 dans ces souterrains. Ainsi, plusieurs centaines de graffitis ont été relevés. Si certains sont le reflet d’expressions artistiques individuelles ; d’autres, comme des inscriptions en langue maori, soulignent les origines très diverses des troupes engagées dans les combats par l’Empire britannique. L’étude d’archives, réalisée conjointement au travail de terrain, a révélé que ces lieux avaient fait l’objet d’un aménagement dans la perspective de l’offensive du printemps 1917. Pour répondre aux besoins élémentaires des hommes, des cuisines, des douches, des latrines ainsi qu’un hôpital de 700 places avaient été aménagés dans ces souterrains. Sans satisfaire pleinement aux règles sanitaires en usage dans l’armée anglaise, les carrières d’Arras offraient toutefois une grande sécurité malgré la proximité du front et un relatif confort aux hommes avant leur montée en ligne. Ces travaux souterrains sont les plus importants réalisés par les troupes britanniques dans ce domaine et ont été réalisés avec soin, comme en témoignent de nombreux panneaux indicateurs permettant de se déplacer plus aisément dans ce dédale de galeries. A la veille de la bataille d’Arras, les carrières d’Arras pouvaient héberger plus de 24 000 soldats, soit l’équivalent de la population civile de cette ville juste avant la première Guerre Mondiale. A l’heure actuelle, ces graffitis restent donc la seule trace tangible de cet épisode majeur de l’histoire d’Arras.
Le tank de Flesquières
A l’inverse d’Arras, où la visite de quelques souterrains permet d’appréhender l’importance de la présence britannique au cours de la Grande Guerre, la ville de Cambrai et ses environs ne présentaient plus de traces tangibles de la bataille majeure qui s’y était déroulée en novembre 1917 et qui avait vu pour la première fois l’utilisation en masse d’une arme nouvelle, le char d’assaut. Mais en 1998, un passionné de cet épisode majeur de la première Guerre Mondiale, Philippe Gorczynski, a découvert l’emplacement où les troupes allemandes avaient enterré un tank britannique. Avec l’aide du service régional de l’archéologie (Ministère de la Culture) et du service archéologique d’Arras, il a alors procédé à son exhumation. Depuis, cet engin, de type « Mark IV female », a été très précisément identifié comme étant le tank D51 « Deborah », du bataillon D du Royal Tank Corps. Témoin unique et essentiel de la bataille de Cambrai, il a d’ailleurs été classé monument historique. L’intérêt suscité en France, mais aussi dans le monde anglo-saxon, par cette découverte exceptionnelle démontre à l’évidence la prise de conscience du public ces dernières années de la nécessité de sauvegarder les éléments de notre patrimoine liés à la Grande Guerre. Mais comme le démontrent les exemples précédents, ce patrimoine a déjà presque totalement disparu de notre paysage quotidien et seules les interventions archéologiques paraissent permettre d’en restituer quelques bribes, qu’il convient désormais de sauvegarder soigneusement.
Un sous-sol profondément marqué par les vestiges de la Grande Guerre
A la fin de l’année 1914, quand la guerre de mouvement fait place à la guerre de tranchées, le front se stabilise en région Nord-Pas-de-Calais suivant un axe nord-sud allant d’Armentières à Bapaume et sur une ligne ouest-est en Champagne-Ardenne. A l’issue de 4 ans d’une guerre de positions, où seules quelques offensives auront entraîné de légères modifications de son tracé, la ligne de front se présente sous la forme d’une formidable succession de réseaux de tranchées, souvent aménagés avec soin. Le terrain ainsi occupé est bouleversé sur plusieurs kilomètres de largeur par ces aménagements et les tirs d’artillerie. Dans certaines zones, dites « rouges », les bouleversements sont tels qu’une remise en état des terrains n’est pas envisageable. Mais, près de 90 ans après l’Armistice, ces cicatrices ont presque toutes disparu et ne sont souvent plus visibles que dans de rares endroits, souvent transformés en mémorial, ou sur des photographies aériennes.
Ces vestiges omniprésents présentent ils un intérêt pour l’archéologue ?
Si les traces de la Première Guerre mondiale sont de moins en moins perceptibles à la surface des champs, en revanche les archéologues, qui sondent chaque année plusieurs centaines d’hectares de terres agricoles, dégagent dans les zones de front de très nombreux vestiges liés à cet épisode récent de notre histoire. L’archéologie préventive a souvent mal vécu cette confrontation avec de telles structures, qui ont souvent perturbé les occupations plus anciennes qu’elle cherchait à mettre en évidence. Mais leur omniprésence dans certains secteurs a poussé quelques archéologues à mener une réflexion sur l’intérêt de leur étude. Au terme d’expériences successives menées depuis une quinzaine d’années, notamment par le Service Archéologique de la Ville d’Arras, il est désormais évident que certains de ces vestiges présentent un indéniable intérêt, aussi bien archéologique que patrimonial et méritent d’être pris en compte lors des investigations sur le terrain.
Les fouilles d’Actiparc, une opération d’archéologie préventive en première ligne
D’octobre 1914 à avril 1917, la ligne intermédiaire et la ligne arrière du front tenu devant Arras par l’armée allemande traversaient du nord au sud l’emprise de la future ZAC Actiparc. Conscients d’intervenir dans un contexte fortement marqué par des vestiges liés à la Grande Guerre, les archéologues de la ville d’Arras et de l’INRAP avaient décidé de prendre en compte les témoignages de ce conflit au même titre que tout autre vestige archéologique, mais de manière plus sélective. Cette expérience unique a permis le relevé et l’enregistrement de près de 6000 structures liées à ce conflit. En revanche, peu de ces structures ont été abordées plus en détail, dans la mesure où la fouille d’une tranchée ne présente que peu d’intérêt au regard de l’abondante documentation existante et reste un exercice dangereux du fait de la présence de munitions encore actives. Seuls les vestiges livrant des informations inédites sur la vie quotidienne des combattants ont fait l’objet d’une exploitation plus poussée. Ces faits d’histoires ordinaires sont très variés et touchent souvent le quotidien des combattants. Ils peuvent concerner le logement des troupes et leurs aménagements. Mais ils nous renseignent également sur les conditions de vie parfois très précaires dans les tranchées et autre retranchements. Par ailleurs, 31 corps de soldats britanniques ont été découverts lors de l’intervention des archéologues et ont fait l’objet d’une fouille minutieuse.
Les sépultures de combattants
La découverte de corps de combattants est très fréquente sur les chantiers réalisés en zone de front, plus de 600 000 hommes ayant purement et simplement disparu sur le front ouest. Alors que la fouille d’une tombe d’époque gauloise ou romaine ne suscite qu’un réflexe purement professionnel de la part de l’archéologue, traiter de manière identique une tombe de soldat est chose bien difficile dans la mesure ou cette découverte entre dans le champ de notre mémoire collective, mais aussi individuelle. Ces corps, souvent bouleversés et portant généralement les stigmates d’une mort violente, sont donc l’objet de soins particuliers ; ne serait ce que par devoir de mémoire à l’égard de ces hommes. De plus, l’étude attentive et répétée de ce type de sépultures livre des informations particulièrement intéressantes sur les pratiques funéraires d’urgence sur le champ de bataille, qui n’ont été étonnamment que peu décrites dans les récits des combattants de l’époque. Le registre des découvertes va du soldat purement et simplement englouti avec tout son paquetage dans le no- man’s land, exemple même du combattant disparu, à la tombe collective plus ou moins organisée, en passant par la sépulture individuelle soigneusement creusée ou plus souvent aménagée rapidement au fond d’un trou d’obus.
Les Grimsby Chums
Mais la découverte la plus étonnante reste celle de la sépulture collective découverte sur la ZAC Actiparc. Elle se présente sous la forme d’une longue fosse peu profonde et accueillait les dépouilles de 20 soldats britanniques. Les 19 premiers corps y avaient été soigneusement déposés, mains jointes sur l’abdomen et de manière à ce que le bras droit de chaque homme repose sur le bras gauche de son voisin immédiat, comme si l’on avait voulu qu’ils restent unis dans la mort et comme ils l’étaient certainement dans leur unité. A l’inverse, le 20 ème corps, légèrement séparé des autres, avait les bras disposés le long du corps. Si aucun de ces soldats n’a pu être précisément identifié, la présence de badges sur certains corps a permis de démontrer qu’ils appartenaient au 10 ème bataillon du Lincolshire Regiment, engagé sur le secteur lors de l’offensive britannique du 9 avril 1917. A l’évidence, leurs camarades de combat ont voulu offrir à leurs morts une sépulture digne de l’amitié qui les liait. Cet effort est d’autant plus étonnant que cette tombe a été aménagée en première ligne de front, lors d’une offensive majeure, et que son aménagement ne s’est donc pas fait sans risques. Cette sépulture constitue donc un témoignage particulièrement poignant du profond sentiment de camaraderie qui unissait les hommes de cette unité, dont le surnom « Grimsby chums » (les potes de la ville de Grimsby) prend ici toute sa valeur.
Une fosse commune…vide
Du 08 au 09 septembre 1914, entre Mailly-le-Camp et Vitry-le-François, d’intenses combats opposent la III ème Armée allemande à la IV ème Armée française. Les affrontements de l’année 1914 sont les plus meurtriers de la Grande Guerre et les corps laissés sur le champ de bataille sont généralement regroupés par nationalité dans des fosses communes. Celle redécouverte à Huiron est presque la copie conforme, par ses dimensions, de la tombe des Grimsby Chums d’Arras ; mais elle ne contenait plus que quelques fragments d’os humains. La vingtaine de corps qu’elle devait contenir à l’origine ont été exhumés à l’issue de la guerre pour être ré-inhumés dans une nécropole de regroupement. Une étude attentive du matériel recueilli permet cependant de préciser l’origine des combattants, toutes les boucles de ceinturon retrouvées portant la devise du Royaume de Saxe (Providentiae Memor) et 3 d’entre elles présentant sur leur bord inférieur l’inscription « 12.J. », n° de l’unité d’affectation de son propriétaire. Ici, il s’agit de soldats appartenant au 12 ème bataillon de chasseurs (jäger), stationné à Leipzig et engagé dans l’assaut de la ferme de la Certine, point extrême de l’avance des troupes allemandes dans ce secteur. Mais la fouille de cette fosse d’apparence anodine apporte surtout des informations inédites sur le traitement réservé aux très nombreux corps restés sur le terrain, les morts étant étonnement déposés dans la tombe sans même être délestés de leur paquetage (mais l’urgence sanitaire devait être telle en cette fin d’été 1914…).
A la recherche du sergent York
Châtel-Chéhéry, en Forêt d’Argonne ; le 8 octobre 1918, le caporal Alvin York capture plusieurs dizaines de soldats allemands et nombre de mitrailleuses. Cet exploit fait de lui le principal héros américain de la Grande Guerre, magnifié dès la fin des combats puis montré en exemple au début de la Seconde Guerre mondiale, par le biais du film « Sergeant York », où le rôle titre est tenu par Gary Cooper. En 2006, des spécialistes en systèmes d’information géographique de la Middle Tennessee State University, état dont est originaire York, tentent de retrouver la localisation exacte de son fait d’armes dans ces bois, qui heureusement n’ont connu qu’une seule journée de combats et peuvent donc encore receler des traces de son passage. Des indices probants, notamment un disque de col au n° de régiment et de compagnie de York, permettent de mieux localiser sur le terrain, à l’aide de GPS de grande précision, l’itinéraire du héros. Mais la polémique gronde aux Etats-Unis, où une seconde équipe déclare avoir trouvé d’autres indices sûrs, mais quelques centaines de mètres plus loin. Si cette première opération d’archéologie programmée sur des vestiges de la Grande Guerre entre surtout dans le domaine de l’expérimentation, elle montre aussi les limites d’une comparaison entre indices de terrains et archives, d’autant plus si ces dernières ont à l’évidence « embelli » la réalité.
Les témoins de la vie quotidienne dans les tranchées
De nombreux villages d’Artois situés à proximité du front ont été transformés en camps capables d’accueillir des milliers de soldats et des cantonnements, des hôpitaux ont été construits à la hâte. Cette présence massive a nécessité le renforcement ou la réalisation de réseaux d’électricité, d’adduction d’eau pour répondre à ces nouveaux besoins. L’approvisionnement des champs de bataille en hommes, en matériel, en vivres et en munitions a également nécessité la mise en place de réseaux de routes et de chemins de fer. Une bouteille en verre frappée aux armes de la 9 ème division écossaise rappelle ainsi que pour les seules troupes britanniques, environ 5 360 000 hommes sont passé sur le front de l’Ouest et que le Royaume Uni a fait transiter par les grands ports français plus de 3 240 000 tonnes de marchandises. Les recherches menées sur les lieux où ont séjourné les soldats révèlent toujours une quantité importante de matériel, qui vient compléter utilement les documents d’archives sur quelques aspects de la vie quotidienne des différents belligérants. Les catégories d’objets les plus fréquemment rencontrés, à l’exception du matériel militaire, sont liées à la nourriture, à l’écriture et à l’hygiène corporelle. Ce sont les traces émouvantes de ces milliers d’hommes qui ont été jetés du jour au lendemain dans la tourmente, emmenant avec eux quelques objets les reliant par un fil ténu à la société civile qu’ils venaient d’abandonner.
L’artisanat de tranchée
Confrontés à de longues périodes d’attente et de calme relatif dans les tranchées ou en seconde ligne, les soldats de toutes nationalités ont souvent combattu la monotonie et la précarité de leur existence en fabricant avec les matériaux du bord (douilles d’obus en laiton, fusées en aluminium) de petits objets utiles dans leur vie quotidienne, ou bien à usage de souvenir. A plusieurs reprises, des fouilles ont permis de retrouver les traces fugaces de cet artisanat de tranchées ; mais sur la ZAC Actiparc, c’est le dépotoir complet d’un atelier qui a été découvert. La fouille minutieuse d’une section de tranchée a livré des dizaines de rebuts de tôle de laiton, dont l’étude a permis de retracer la chaîne opératoire complète de production d’étuis de protection de boîtes d’allumettes, mais aussi de coupe-papiers et de boucles de ceinturons. Les inscriptions gravées sur certaines de ces pièces ont aussi permis d’identifier leurs créateurs, des prisonniers allemands affectés à la réfection de la ligne de chemin de fer Arras-Lens en 1919. Alors même que l’origine précise de la plupart des objets relevant de l’artisanat de tranchée est désormais perdue, la découverte faite à Actiparc permet de restituer dans le détail l’histoire d’un de ces ateliers éphémères et de rendre à ces objets toute leur valeur historique et sociale.
Croyances et religion dans les tranchées
Vivre dans les tranchées où la mort est omniprésente, tenir alors que l’on est constamment confronté à l’incertitude du lendemain génère chez le combat une angoisse permanente et pousse nombre d’entre eux à trouver refuge dans la foi. Ce regain de religiosité s’exprime, en dehors de la fréquentation des services religieux traditionnels, par l’apparition de signes protecteurs, comme les croix gravées, dans les abris. On retrouve également des statuettes de la Vierge ou de saints guerriers tels que Saint George terrassant le dragon, qui était honoré dans de petits oratoires creusés dans les parois des tranchées. Mais parallèlement à ces manifestations, on note que différents belligérants font appel à des croyances ancestrales proches de la superstition et il est fréquent de retrouver accrochés à une médaille pieuses ou à un chapelet, une croix solaire, un fer à cheval ou des monnaies percées. Des dépôts singuliers sont à signaler dans les carrières d’Arras, comme cette fosse contenant un coquillage des mers australes, ou ces pièces de monnaie déposées dans les interstices des parois.
La préservation d’un patrimoine en voie de disparition
Bien souvent, les seules traces de la première Guerre Mondiale encore vraiment perceptibles dans le paysage sont les nombreuses nécropoles militaires et quelques monuments commémoratifs. Un œil averti remarquera cependant la présence sur certains bâtiments anciens de quelques inscriptions énigmatiques, qui s’avéreront être la mention du passage à cet endroit d’une unité ou de quelques soldats. Dans des secteurs moins directement accessibles subsistent encore quelques blockhaus, vestiges d’une ancienne ligne de défense. Mais ces vestiges devenus gênants sont souvent l’objet d’une destruction pure et simple. C’est d’autant plus le cas s’ils sont par nature bien moins résistants qu’une construction de béton armé, comme les rares monuments funéraires allemands encore existants ou les quelques baraquements de bois installés par l’armée britannique et encore récemment utilisés en abri de jardin. Sous l’assaut du temps et des hommes, la sauvegarde de ces vestiges devient de plus en plus aléatoire. Cette situation est d’autant plus dommageable et étonnante que l’intérêt porté à la Grande Guerre s’est considérablement renforcé ces dernières années. A défaut de réellement pouvoir sauver ces éléments de notre patrimoine, leur étude et leur enregistrement permettent cependant de garder une trace de leur existence.
Les souterrains
C’est à l’occasion d’un programme de recherches sur les carrières d’extraction de pierres exploitées pendant le Moyen-Age à Arras que l’attention des archéologues a été attirée par les nombreux témoignages laissés par le passage de soldats britanniques entre 1916 et 1918 dans ces souterrains. Ainsi, plusieurs centaines de graffitis ont été relevés. Si certains sont le reflet d’expressions artistiques individuelles ; d’autres, comme des inscriptions en langue maori, soulignent les origines très diverses des troupes engagées dans les combats par l’Empire britannique. L’étude d’archives, réalisée conjointement au travail de terrain, a révélé que ces lieux avaient fait l’objet d’un aménagement dans la perspective de l’offensive du printemps 1917. Pour répondre aux besoins élémentaires des hommes, des cuisines, des douches, des latrines ainsi qu’un hôpital de 700 places avaient été aménagés dans ces souterrains. Sans satisfaire pleinement aux règles sanitaires en usage dans l’armée anglaise, les carrières d’Arras offraient toutefois une grande sécurité malgré la proximité du front et un relatif confort aux hommes avant leur montée en ligne. Ces travaux souterrains sont les plus importants réalisés par les troupes britanniques dans ce domaine et ont été réalisés avec soin, comme en témoignent de nombreux panneaux indicateurs permettant de se déplacer plus aisément dans ce dédale de galeries. A la veille de la bataille d’Arras, les carrières d’Arras pouvaient héberger plus de 24 000 soldats, soit l’équivalent de la population civile de cette ville juste avant la première Guerre Mondiale. A l’heure actuelle, ces graffitis restent donc la seule trace tangible de cet épisode majeur de l’histoire d’Arras.
Le tank de Flesquières
A l’inverse d’Arras, où la visite de quelques souterrains permet d’appréhender l’importance de la présence britannique au cours de la Grande Guerre, la ville de Cambrai et ses environs ne présentaient plus de traces tangibles de la bataille majeure qui s’y était déroulée en novembre 1917 et qui avait vu pour la première fois l’utilisation en masse d’une arme nouvelle, le char d’assaut. Mais en 1998, un passionné de cet épisode majeur de la première Guerre Mondiale, Philippe Gorczynski, a découvert l’emplacement où les troupes allemandes avaient enterré un tank britannique. Avec l’aide du service régional de l’archéologie (Ministère de la Culture) et du service archéologique d’Arras, il a alors procédé à son exhumation. Depuis, cet engin, de type « Mark IV female », a été très précisément identifié comme étant le tank D51 « Deborah », du bataillon D du Royal Tank Corps. Témoin unique et essentiel de la bataille de Cambrai, il a d’ailleurs été classé monument historique. L’intérêt suscité en France, mais aussi dans le monde anglo-saxon, par cette découverte exceptionnelle démontre à l’évidence la prise de conscience du public ces dernières années de la nécessité de sauvegarder les éléments de notre patrimoine liés à la Grande Guerre. Mais comme le démontrent les exemples précédents, ce patrimoine a déjà presque totalement disparu de notre paysage quotidien et seules les interventions archéologiques paraissent permettre d’en restituer quelques bribes, qu’il convient désormais de sauvegarder soigneusement.
Re: l'archéologie et la grande guerre
Si vous désirez voir l article avec les photos, voici le lien :
http://www.crid1418.org/espace_scientifique/archeo/archeo_gg.htm
http://www.crid1418.org/espace_scientifique/archeo/archeo_gg.htm
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