28 janvier 1814

28 janvier 1814

L'Empereur se lève de bonne heure. Il dicte les ordres d'opérations pour la journée, puis il écrit une lettre au duc de Feltre, ministre de la guerre à Paris : "Dans la journée du 26, je suis arrivé à Vitry. Le 27, je me suis porté sur Saint-Dizier, que l'enemi occupait ; je l'en ai chassé. On lui a pris quelques pièces de canon, tué quelques hommes et fait quelques prisonniers. J'ai appris ici que Blücher, avec 25 000 hommes, s'était porté sur Brienne, ou il arrive aujourd'hui. J'ai coupé la ligne d'opérations et fait occupé Bar, et je pars aujourd'hui pour me porter en queue de Blücher".
L'Empereur quitte Saint-Dizier vers sept heures. Le temps s'est adoucit mais l'armée éprouve de grandes difficultés à avancer, les chemins sont boueux et défoncés par les chevaux, malgré une forte gelée de la veille.
Napoléon arrive à Eclaron à neuf heures.



Le temps devient brumeux, et une fine couche de neige transfrome le paysage. Tous les habitants accourent sur la place du village et acclament le grand homme qui vient les liberer de l'ennemi. Le curé et son clergé lui présente l'encens. L'Empereur est à cheval, et s'arrète près d'une des portes latérales de l'église. Il remarque qu'elle ne possède pas de clocher. Il en fait l'observation et le curé lui apprend qu'il a été détruit par la foudre en 1811.
Il se rend ensuite à l'extrémité sud du pont du village, pour assister au passage de son armée. Le pont vient d'être rétablit par les sapeurs.

Une jeune fille, détache un volet de la maison de son père et le dépose près du cheval ou s'apprêtait a descendre l'Empereur. Napoléon est aussitôt entouré par les villageois. Certains apportent les quelques provisions disponibles et les donnent aux soldats, d'autres allument des feux pour les sécher et les rechauffer. Le chirurgien du pays soigne quelques malades : c'est un ancien de l'armée d'Egypte... Napoléon accroche sur sa poitrine sa propre croix !

Notes : La fille qui décrocha le volet, était encore vivante en 1868 et s'appelait Ravier. Le volet fut d'ailleur conservé par la famille. Mais existe t-il toujours ?

Vers dix heures, l'Empereur se rend chez le général de Vouliers.
Le maréchal de camp François-Charles Labbé de Vouillers fut le chef d’état-major de Dumouriez pendant la Révolution, et voci comment il relate cette entrevue, dans un courrier datant de 1815, qu'il adresse à Fouché : "Le 28 janvier 1814, les armées françaises ayant été attirées par celles des puissances alliées du côté de Saint-Dizier dont je ne suis distant que de deux lieues, sa Majesté l’Empereur, dirigeant sa marche du côté de Brienne, passa par le bourg d’Eclaron, ma commune, où elle fut reçue avec enthousiasme et fut forcée de s’y arrêter quelques heures, en attendant l’entier passage de son armée sur notre rivière de Blaise assez difficile et sur un mauvais pont ruiné par le laps des temps. A ma prière, l’Empereur voulut bien prendre quelques heures de repos chez moi et s’y rafraîchir. Elle-de ma propre main- et tout son grand état-major. Elle me fit la grâce de s’entretenir avec moi, seul, et le maire de notre commune à qui elle promit l’entier rétablissement de notre pont ainsi que celui du clocher de notre église, écrasé deux ans auparavant par le feu du ciel. (Les décrets ont été rendus par Sa Majesté, mais n’ont pas encore été mis à exécution). Sa Majesté daigna me faire différentes questions sur mes anciens services, à la suite desquelles Elle m’assura de toute sa bienveillance en faisant inscrire sur ses tablettes et le recommandant à un de ses chambellan".

Dans la cour de la maison de l'officier, il trouve des habitants du village, armés de pioches, de fourches, de faux, de batons et qui jurent de le soutenir et de se défendre contre l'envahisseur.
Napoléon est très touché de ces quelques paroles, mais plus encore lorsque quelques-uns lui apportent des cosaques pris pendant la nuit. Ensuite il s'entretient avec le Maire et promet de faire reconstruire le clocher de l'église. Cette promesse, il ne l'oubliera pas, et cela malgré les préocupations de cette campagne, un décret lui sera proposé le 30 janvier et avalisé le 4 février 1814, du quartier impérial de Troyes.

Note :
Quartier Impérial de Troyes, le 4 février 1814.
Napoléon, Empereur des Français, Roi d'Italie, etc..../ Sur le rapport de notre ministre des cultes, nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
Art 1er : Les dépenses de la reconstruction du clocher de l'église de la commune d'Eclaron, arrondissement de Wassy, seront faites sur le produit en réserve à la caisse d'amortissement des fonds commun du dizième du revenu des communes affecté au service du culte.
Art 2 : Les formalités pour le devis et l'adjudication de cette reconstruction seront remplies sans délai.
Art 3 : Nos ministres des cultes et des finances sont chargés de l'éxécution du présent décret.
Signé : Napoléon

Il reste une heure chez le général, en présence du Maire, se tenant d'ordinaire debout contre la cheminée, le dos au feu. On lui offre un déjeuner, mais il n'accepte qu'un verre de Malaga. Le Maire lui raconte le passage des premiers cosaques le 25, dont un fut fait prisonnier par les habitants, et qui était porteur d'ordres importants. L'Empereur pour témoigner de sa satisfaction devant l'enthousiasme de ce petit village, nomme séance tenante, Chevalier de la Légion d'honneur, le Maire, son frère et deux habitants d'Eclaron.
L'Empereur remarque avec étonnement que le général de Vouliers n'est pas décoré de la Légion d'honneur. Celui-ci lui apprend qu'il avait émigré, et qu'il était rentré fort tard en France, et qu'il n'avait voulu reprendre son service. Puis au moment ou il quitte la maison, un habitant du village, monsieur Clément, ancien officier en retraite, s'approche de l'Empereur et lui offre une lorgnette, qu'il accepte.


Note : la maison du général était habitée dans les années 1890 par la famille Hédouville. (Mémoires de la Société des lettres, des sciences, des arts, de l'agriculture et de l'industrie de Saint-Dizier)

Le détachement reprend sa route. Il est onze heures. Pendant la traversée de la forêt du Der, par le chemin de Montierender, on lui ammène un jeune homme. Il se nomme Rigault, et deux jours auparavent, il a guidé le fourgon d'un officier prussien jusqu'a Brienne. L'Empereur questionne le jeune homme sur ce qu'il à vu, si l'ennemi est nombreux, s'il y a de la cavalerie, de l'artillerie, puis il continue sa route.

L'Empereur arrive vers 18 heures à Montierender. Le général Vincent, maire de la petite ville, fait à Napoléon les honneurs de sa belle demeure, ou les tirailleurs du général Rottembourg prennent le service.
Cette maison est située au 35 rue de l'Ile.


Cette maison hélas n'existe plus. Son emplacement est signalé par cette pancarte.

Enfant du pays, Vincent est un vieux cavalier de la guerre de spt ans. Sa pension de 3000 francs à été réduite à 2000 francs, mais a dater du 29 janvier, l'Empereur la porte à 4000 francs. Dès son arrivée, il se met en conférence avec son état-major. Des cartes sont étalées sur une grande table dans le salon du général. L'Empereur les étudie avec une profonde attention, les pique de temps en temps avec des épingles à tête colorée, dont il a une provision. Au milieu de son travail, il entend dire qu'un jeune homme du pays est arrivé la vielle de Troyes. Napoléon veut le voir et envoi un détachement le chercher. Le jeune homme se nomme Victor, mais personne ne le trouve. Avec son père, il s'était rendu non loin du village, dans une chapelle, cacher les quelques biens que cette famille possède, en prévision du passage possible de troupes ennemies. Un détachement le trouve, et l'amène à l'Empereur sans lui laisser le temps de ce changer. Vêtu d'une blouse et de sabots de bois, il entre dans le salon ou l'attend, impatient, l'Empereur.
"-Quand es-tu revenu de Troyes ?
-Hier soir, Monsieur, répondit Victor.
-Comment as-tu pu sortir de Troyes ?
-C'était difficile, et sans circonstance extraordinaire, je n'aurais pu le faire : j'avais a Troyes une connaissance, qui m'a jeté une planche dessus les ramparts ; c'est grâce à cela que j'ai pu sortir.
-As tu rencontré des troupes ?
-Oui Monsieur".

Le général Vincent vient alors frapper sur l'épaule du jeune Victor en lui disant de répondre par Sire. Mais le jeune homme est ébloui par l'éclat des lumières, étourdi par la multitude d'uniformes, et sans doute par la présence de l'homme en redingote grise qui l'intérroge. Le jeune habitant du village ne prend pas garde à l'observation du général et persiste à manquer de respect pendant tout le cours de l'entretien.

"-Arrivé près de Lesmont, j'ai rencontré la vieille garde qui faisait sauter le pont et j'ai été forcé de venir passer l'Aube à Piney. A Brienne, quelques-uns de mes parents me dissadaient de continuer ma route : mais je tenais à revenir à Montierender et j'ai résisté à leurs instances. A ma sortie de Brienne, je rencontrais les ennemis qui arrivaient en masse par la chaussée de Montierender. Je fut arrêté, et un officier me demanda ou j'allais, d'ou je venais, comme je répondais que j'allais à Montierender et que je revenais de Troyes, il me demanda s'il y avait beaucoup de troupes dans cette ville. Je lui répondit que oui. Sur quoi il m'a dit de prendre au milieu de la chaussée pour aller à Montierender. J'ai suivi son conseil et jusqu'a Longeville, je suis passé au milieu de la colonne. Mais là, craignant d'être arrêté par les traînards, je me suis décidé à prendre à travers champs et je suis arrivé à Montierender très tard dans la nuit".

Après ce récit que l'Empereur écouta attentivement, il dit au jeune Victor :
"-Viens ici me montrer la route que tu as suivis".
Et tous les deux, sur la carte, marquaient avec des épingles l'itinéraire indiqué dans le récit? De temps en temps, le plus grand des deux, tirait de la large poche de son gilet, des pastilles qu'il donnait à l'autre. Quand tout les renseignements étaient pris, et charmé sans doute de la façon intélligente dont ils lui avaient été exposés par ce jeune homme de seize ans, Napoléon mui dit, en lui donnant une petite tape sur la joue et en lui tirant l'oreille :
"-Veux tu venir avec moi ? Je te ferais entrer à l'Ecole militaire, et je me chargerai de ton avenir, si tu veux marcher !
-Non Monsieur, mon père est vieux, ma mère est infirme, je leur suis nécessaire, et je dois rester aupres d'eux".
L'Empereur déçu de la réponse, congédie le jeune homme.

Pendant ce temps :

Le 28 janvier, non loin de Brienne, des cosaques s'emparent d'une ferme, et se livrent a toutes sortes d'excès, et de violence..
Lorsque le hasard voulu qu'un bataillon français passa non loin de là. Aux cris des habitants, le commandant de l'unité envoya un caporal et quatres hommes, qui firent prisonniers les cosaques et furent comblés de bénédictions par la malheureuse famille....

(gravure bibliothèque nationale, expédition de cosaques la veille de Brienne)