9 février 1814

9 février 1814

L'Empereur quitte Nogent à 10 heures, et marche sur Sézanne à travers des bois et des marécages par Barbonne et la forêt de Traconne pour se joindre aux divisions de Marmont. Le 8 février, des troupes préviennent en passant, de l'arrivée dans la matinée du 9, de Napoléon et du projet qu'il avait de coucher à Villenauxe. Le conseil municipal de la ville, passa la nuit à la Mairie afin de se trouver prêt à recevoir l'Empereur qui devrait arriver à 5 heures du matin.

Il était tombé beaucoup d'eau depuis deux ou trois jours, ce qui avait amené le dégel et les routes étaient remplies d'eau et de boue. Mais, cet inconvénient n'avait pas ralenti la marche des soldats et de leur chef. Dès le petit jour du 9 février, les troupes commencent à passer...

Vers 14 heures, l'Empereur arrive par la route de Nogent à la porte de Provins par laquelle il fait son entrée à Villenauxe. Parmi la foule qui s'était portée là, il aperçoit un groupe d'hommes, fait signe à l'un d'entre eux d'approcher, ce que le moins timide fait en criant "Vive l'Empereur". Il s'apelait Maricot, chasseur à cheval du 2ème régiment, et avit un congé. Après quelques renseignements que lui demanda Napoléon, il lui dit : "Allez dire à votre maire de venir me parler de suite sur cette route". L'homme s'aquitte aussitôt de sa tâche et traverse remparts et ruelles pour rendre compte de sa mission à Monsieur Vervin, notaire et maire par interim. Napoléon s'avance par les rues du Pont Doue, ou du pont du Roi du chateau au milieu de deux haies de grenadiers à pied de sa Garde ainsi disposés jusqu'a la sortie de la ville. Il est précédé immédiatement d'une compagnie de Mamelouks et suivit de son état-major à cheval, de sa voiture attelée de huit chevaux alezans, et d'une autre compagnie de Mamelouks. Son fidèle Roustan est derrière lui. Arrivé près du pont-Neuf, les grenadiers présentent les armes, et les tambours et fifres jouent un air.


Photo l'Est-éclair. les 14ème et 18ème de ligne dans l'Aube en 2014.

Témoignage d'un villenauxois :

Un témoi, conscrit de 1814,et habitant de Villenauxe à écrit ses mémoires (disponibles dans la bibliothèque de l'Association) :

-Comme j'était parvenu près du pont Masut, derrière la haie de grenadiers, je priai des fifres de me montrer l'Empereur, ce qu'ils firent en me disant : "Voyez ce petit homme à cheval, avec son petit chapeau et sa redongote grise qui s'avance le premier en tête ? C'est lui-même". Et de suite accompagnant les tambours de leur régiment, ils jouerent un air, tandis que les grenadiers portaient les armes. Napoléon était dans sa 45ème année. Sa taille approche la moyenne. Il avait un gros ventre et de l'embonpoint, une tête de Vespasien dont le front était beau, les cheveux noirs mélangés de gris et coupés à la titus, les yeux vifs ; le nez bien fait, la bouche moyenne et les lèvres pincées, les machoires larges, le visage rond, le menton de même et un peu relevé, sans favoris ni moustaches, son teint olive brun ou bronzé, l'air sérieux et hardi, la contenance ferme. Il était coiffé d'un petit chapeau de feutre noir à trois cornes, sans bordure, a celle de l'avant était attachée la cocarde tricolore sous une ganse d'or. Par-dessous sa redingote d'un gris blanc, ses épaulettes en or à graine d'épinards, son crachat en argent, ses croix et la poignée de son épée. Une culotte courte de drap plus blanc que gris. Des bottes à la hussarde et des gants de daim jaunes. Tel il était en traversant Villenauxe.

Cependant, M. Vervin, qui n'attendait plus l'arrivée de ce héros que sur le soir est pris au dépourvu et n'a pas le temps de s'habiller. Il est chaussé de gros sabots couverts, tête nue, pantalon et redingote grise, lorsqu'il accourt par la rue de la halle. Il se fait jour à travers la foule, et il parvient difficilement au pont Dargent et à celui de Masut. Napoléon s'arrête près d'une grande Maison (Note : première maison dans la rue des bouchers en 1814). Les tambours et fifres ne jouent plus. Napoléon fait un signe du doigt à un homme qui arrive tout essouflé et criant "Vive l'Empereur".
-"Monsieur, est-ce vous qui êtes Monsieur le Maire ?"
Monsieur Vervin s'empresse de ceindre son écharpe tricolore et lui répond :
-"Sire, j'en fait les fonctions par intérim !
-Approchez, approchez donc !"
Le magistrat fendant la foule et s'avançant aux pieds de Napoléon crie encore "Vive l'Empereur", et se tient debout.
-"Eh bien, Monsieur le Maire, dites moi, qu'y a t'il de nouveau dans votre ville ?
-Sire, il est venu une quinzaine de cosaques !
-Qu'en avez vous fait ?
-Nous les avons laissés s'en aller !
-Il fallait les tuer !
-Sire, nous avons craint qu'en le faisant, leurs camardes ne vinssent bruler notre ville !
-Ah, vous êtes doux comme des moutons, allons c'est bien, donnez moi la main."

Et passant de sa main gauche dans la droite, les rênes de son petit cheval gris, il prit la main droite de Monsieur Vervin qui en lui rendant compte des besoins de la ville et de ce qu'il savait du mouvement des armées coalisées, le conduisit ainsi par la rue des bouchers sur la route de Mézières ou de Sézanne jusque vers la croisière de la rue des Chenaies qui traversant cette route va à Montgenost. Là, l'Empereur qui avait dit à Monsieur Vervin, "je ferrai achever cette route", lui répéta encore et lui dit en le remerciant :
-"Monsieur le Maire, je me souviendrais avec plaisir d'être passé par votre petite ville de Villenauxe. Adieu Monsieur le Maire, adieu !" et il poursuit sa route pour aller à Sézanne.

Il y avait tant de boue dans la rue des bouchers, qu'elle entrait dans les sabots de Monsieur Vervin, et que la troupe et l'état-major dont les manteaux étaient couvert, en avaient même jusqu'a la coiffure.
Au moment ou Napoléon quitte la ville, les deux haies de grenadiers et l'arrière garde quittent leurs positions les uns par la rue des Bouchers, les autres par celle de Chenaie, et les autres par la route forestière. C'est a priori 15 000 hommes qui passent par cette petite ville.

Le passage s'effectue avec ordre et tranquilité, sans exciter de disputes ni de mécontentements, et sans causer de dommages. L'Empereur veut se rendre à marche forcée sur Champaubert et surprendre les russes du général Olsufief qui avancent sur Montmirail. L'Empereur arrive à Sézanne cers 20 heures, et s'arrête dans une maison de la place du Champ-Benoist.
Il est trempé et couvert de boue...